(Publié par Acheikh Ibn-Oumar, avant l’intervention militaire, le13 mai 2012/ Lire texte d’origine sur le site newsring.fr )
L’idéal serait que le problème soit réglé par les Maliens eux-mêmes. Or l’armée, qui a fait le putsch le plus idiot du monde, et qui s’est affaiblie elle-même par cette aventure, est maladivement obsédée par le contrôle du pouvoir à Bamako, quitte à ce que tout le reste du pays tombe en lambeaux.
La classe politique brille par son impuissance à influer sur les événements et par son reflexe de survie immédiate. Le processus de concertation au sein de la Cedeao est très lourd et très lent, et ne pourra aboutir, s’il aboutit, que sur une action tardive, incohérente et très peu efficace.
Entre-temps, les effets du contrôle du Nord-Mali par les sécessionnistes, les intégristes et les terroristes, vont s’accumuler à toute vitesse, et créer des traumatismes difficilement réversibles. Le premier de ces effets, le plus grave, c’est le nettoyage ethnique indirect. La majorité de la population est en train de quitter la région. Un grand nombre s’est trouvé au Niger voisin.
Les ethnies non-touarègues, très majoritaires dans le nord
Ce que les médias internationaux omettent de dire, et c’est très grave, c’est que les Touaregs représentent une minorité, non seulement au sein de la population malienne, mais y compris dans ce nord, que les sécessionnistes prétendent transformer en Azawad.
Les ethnies non-touarègues sont largement majoritaires dans le Nord : Songhaï (ethnie d’origine du musicien Ali Farka Touré), Peulhs, Maures (arabes), Toucouleurs. Et au sein de cette «minorité dans la minorité» qu’est la population touarègue, les sécessionnistes ne représentent qu’une partie dont l’importance réelle est difficile à estimer. Les Touaregs sédentaires, les Bella, dits «Touaregs noirs», sont en totalité contre la seccession.
Nettoyage ethnique de fait
L’exode de toutes ces populations, qui sont largement majoritaires et qui ne soutiennent pas la sécession au nom de l’Azawad, exode déjà massif et qui va aller s’aggravant du fait de l’insécurité physique et alimentaire, constitue un nettoyage ethnique de fait.
On sait que les mouvement des déplacés et des réfugiés sont toujours difficilement réversibles. Même après le retour au calme, il faudra de longues années pour que ces populations regagnent leurs terroirs d’origine. Sans compter que l’afflux de ces déplacés et réfugiés dans les autres régions du Mali et dans les pays voisins crée d’autres problèmes sociaux et économiques difficiles à gérer.
À mon avis, c’est cette question de déplacement massif des populations du nord qui devait être dès le départ au centre des préoccupations de tous les intervenants.
À cette saignée démographique du nord vont s’ajouter sûrement des règlements de compte entre les différents groupes armés : MNLA, FNLA, Ansar Dine, Aqmi et sans doute d’autres rejetons qui en seront issus.
Le harakiri de l’armée malienne, l’inefficacité de la Cedeao, l’incapacité de la classe politique, d’un côté, et l’urgence et la gravité des problèmes, humains surtout, d’un autre côté, imposent une réflexion rapide et sérieuse sur une intervention internationale.
L’intervention devrait pilotée par l’Union africaine
L’Onu dispose déjà d’un dispositif militaire important en Côte d’ivoire voisine. L’exemple de la Libye a montré que les grandes puissances peuvent monter une intervention militaire de grande envergure, non pas en quelques jours, mais… en quelques heures. J’entends déjà le lecteur ajouter «Oui, d’accord, mais c’est uniquement quand leurs intérêts sont en jeu».
Il est indéniable que les interventions de l’Onu, de l’Otan et autres «Coalition of the Willing», posent de sérieux problèmes. Elles obéissent à des calculs géostratégiques étroits, ne tiennent pas compte des impératifs sécuritaires et humains dans les pays directement ou indiretement concernés, et produisent des effets «collatéraux» ravageurs.
Pour résoudre cette équation de la nécessité et des inconvénients d’une intervation internationale, il faudrait que les choses soient prises en main par l’Union africaine, à travers, par exemple, une groupe d’initiative de certains membres «poids lourds». On pense évidemment tout de suite à l’Algérie, du fait de son voisinnage, de l’imbrication géostratégique, et de ses capacités militaires et financières. Mais d’autres pays africains peuvent jouer un rôle.
Un tel projet piloté par l’Union africaine et des États membres, et dans lequel l’Onu, l’Otan, La France, les USA, La Chine, La Russie etc. auront un rôle essentiellement matériel et technique, permettra d’éviter les inconvénients d’une intervention internationale «pur sucre».
Le succès d’une telle intervention dépendra aussi de la capacité de la classe politique malienne à traiter le problème révélé par la résurgence des groupes armés au nord, au-delà de sa dimension purement militaire et sécuritaire.
Les crises dans ces régions sahariennes sont anciennes (la première révolte au Mali date 1963), transfrontalières (depuis le Darfour soudanais, jusqu’en Mauritanie, en passant par le Tchad, le sud libyen, le Niger et l’Algérie), et multidimensionnelles (économiques, politiques, ethniques, environnementales, culturelles, etc.).
Mais cela est un autre débat.
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Question d’un lecteur et réponse:
Q : Pourquoi africaine ET internationale ? Le continent du futur ne peut pas tenir tête à Ansar Dine et ses quatre cents pouilleux ? On rêve.
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R :Deux précisions. Mon opinion est que les problèmes humanitaires, sociaux et économiques, qui n’étaient pas très visibles au moment où j’écrivais ma contribution, sont plus importants que les aspects purement militaires et sécuritaires.. C’est pourquoi j’avais préféré la formule ‘ »action internationale » à « intervention internationale ».
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Sur le plan purement opérationnel, vous n’avez pas tort: il est possible d’expulser la nébuleuse des groupes armés des villes du Nord-Mali, par une action concertée avec l’Algérie et quelques pays directement concernés, par exemple; et permettre à l’Etat central malien de reprendre le contrôle de ces territoires,…sans pour autant empêcher les groupes terroristes de continuer sillonner le Sud-Sahara, de la frontière mauritanienne à la frontière tchadienne, et de commettre les actions que l’on sait.
Effectivement, « quatre cents pouilleux » comme vous dites, peuvent tenir tête à des grandes armées. Ben, oui, ce’st la fameuse guerre assymétrique, illustrée par le fiasco humiliant de l’intervention américaine en Somalie, et les ravages de Boko Haram au Nigéria, pour s’en tenir à des exemples sur le continent africain.
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