MALI-SAHEL : LE PLUS IMPORTANT : LE DÉVELOPPEMENT – L’ETAT DE DROIT

MALI-SAHEL : LE PLUS IMPORTANT :LE DÉVELOPPEMENT  L’ETAT DE DROIT (source Association « Pour Mieux Connaître le Tchad » – PMCT – Newsletter N°11 : lien web : http://www.pmctchad.org/  A l’heure où quelque 2000 soldats tchadiens sont engagés aux côtés de l’armée française dans le cadre de la MISMA contre les groupes djihadistes dans le nord du Mali, Acheikh Ibn-Oumar nous livre son analyse de la crise qui frappe les pays du Sahel.)

 Tibesti, Karamojong, Somalie, Mandela, Rwanda, Darfour, Tutsi, Kadhafi, Côte d’Ivoire, Congo, Corne de l’Afrique, Nairobi, etc. Pour le téléspectateur moyen, l’Afrique c’est une succession de noms de personnages, de régions, d’ethnies, de villes, qui surgissent brutalement du néant, au gré des prises d’otages, des massacres, des famines, des attentats terroristes, et des soubresauts politiques. Aujourd’hui,Tchad-paysage-1 (PMCT) l’Afrique s’appelle : Mali, Touaregs, otages, intervention française.

Certes, les exercices d’explication ne manquent pas, sous la forme d’une avalanche tout aussi brutale d’analyses et autres documentaires, déversés par des experts généralement compétents, souvent de bonne foi mais rarement pédagogues, du fait des formats imposés par les émissions.

Ces masses désordonnées d’informations circonstancielles empêchent une connaissance des situations africaines « à hauteur d’homme » par le citoyen français (et occidental en général), et suscitent évidemment une grande frustration chez les Africains et les amis de l’Afrique, qu’ils soient universitaires, membres des ONG ou militants associatifs, condamnés à tenter d’endiguer, à mains nues, les torrents de préjugés et d’idées-reçues.

Aussi, il n’est pas inutile de rappeler quelques réalités simples, basiques.

De quelle insécurité faut-il parler ? 

La question la plus sensible dans la zone sahélo-saharienne, ce sont les menaces contre la sécurité : prises d’otages français et européens, trafics de drogues et de migrants clandestins à travers la Méditerranée, attentats contre les installations diplomatiques et industrielles.

Or pour les populations locales, dont on est en droit de penser qu’elles sont les premières concernées, la première insécurité, c’est l’insécurité alimentaire.

Suite au déficit pluviométrique de 2011, Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l’alimentation, alertait : « Plus de 5 millions de Nigériens sont affectés par la crise alimentaire, 2,9 millions de personnes au Mali et 700 000 en Mauritanie. Par ailleurs,  au Tchad et en Mauritanie, il y a un déficit céréalier de plus de 50 % comparé à l’année dernière (http://www.secours-catholique.org/actualite/sahel-12-millions-de-personnes-exposees-a-l-insecurite,10708.html).

L’Union Européenne avait annoncé un engagement  de 125 millions d’euros. En comparaison, pour financer leur action militaire au Mali, les pays africains de la CEDEAO, demandent 730 millions d’euros (950 millions de dollars). A la mi-février, au bout d’un mois, le coût de l’intervention militaire française était annoncé à 70 millions d’euros par le ministre de le Défense, soit environ  2,7 millions d’euros par jour, alors qu’en Libye, en 2011, l’opération Harmattan avait duré 227 jours et coûté 368,5 millions d’euros, soit un peu plus de 1,6 million d’euros par jour.

Il est très probable qu’au bout de quelques mois, l’enveloppe financière nécessitée par les besoins des forces africaines, la réorganisation et l’équipement de l’armée malienne, la sécurisation des régions arrachées aux djihadistes et la poursuite de l’action française, même après un retrait des unités combattantes au sol, dépasse le milliard d’euros, soit à peu près de dix fois le montant de l’aide annoncée par l’EU en faveur des dix millions de Sahéliens frappés par l’insécurité alimentaire en 2011.

Sans l’action militaire vigoureuse et rapide de la France, la capitale du Mali, Bamako, serait tombée, et on imagine aisément l’onde de choc dévastatrice dans toute la région et même au-delà. On est obligé alors d’admettre que le coût, énorme, des opérations militaires est justifié ; cependant on peut remarquer qu’avec une fraction de ces sommes, on aurait pu, au fil des années, mener de vraies politiques de coopération au développement qui auraient résorbé les frustrations sociales, le désarroi des jeunes et les frictions intercommunautaires qui font le lit des groupes ultra-violents et des réseaux maffieux.

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Mais il n’est pas facile pour l’opinion européenne d’être sensible à l’importance cruciale de cette question du développement économique et social, car la focalisation dramatisante sur les  attentats, les otages, et l’omniprésence étrange des visages des chefs djihadistes au détriment du quotidien des populations locales, donnent de la zone sahélienne, l’image d’un Far-West presqu’entièrement vide, sillonné par des bandes terroristes apatrides, des narcotrafiquants, et quelques chameliers nomades « nobles et fiers »,  derniers témoins d’une humanité mythique qui refusent la modernité, le matérialisme et l’autorité centralisée, mais en voie de disparition. Alors que de la Mauritanie au Kordofan soudanais, ce sont des dizaines de millions de pasteurs nomades certes, mais aussi, et surtout, d’agriculteurs, de semi-nomades, d’artisans, de commerçants, de transporteurs, et aussi d’enseignants, d’infirmiers, de guides, qui vivent dans des villages, des oasis, et de plus en plus dans des villes, parfois très loin, comme travailleurs immigrés dans d’autres régions ou d’autres pays.

La menace surmédiatisée de ces groupes obscurantistes qui procèdent à l’amputation des mains et la flagellation des couples non-mariés et autres buveurs de bière, est un danger réel, immédiat. Mais c’est aussi un phénomène très limité, réduit à l’espace contrôlé par ces groupes pendant quelques mois. Alors qu’il y a une autre insécurité, causée par des hommes en armes, plus pérenne et plus difficile à éradiquer celle-là, et qui ne frappe pas seulement telle ou telle région, à tel ou tel moment de crise, mais l’ensemble de ces pays : ce sont les rackets, les répressions indiscriminées, les sévices physiques, dont sont victimes les populations depuis des décennies. Cette seconde insécurité, généralisée et permanente a pour source les forces … de sécurité ! (policiers, gendarmes, douaniers, militaires) épaulées parfois par des milices dites « pro-gouvernementales » que les pouvoirs n’hésitent pas à mettre en place quand ils sont débordés par les conflits créés par leur propre (mauvaise) gestion.

Au Nigeria, ravagé depuis 2009 par les carnages aveugles des sectes djihadistes Boko Haram et Ansarou, qui paraissent come l’incarnation du Mal absolu, le ministre de la Justice M. Mohammed Adoke a fait porter la responsabilité du déclenchement de la spirale infernale aux forces régulières de son propre gouvernement, lesquelles avaient procédé selon lui à plus de 7000 exécutions extrajudiciaires  :  «According to Adoke, the attack: “is a probable reaction to the extra-judicial execution of the leader of the sect, Mohammad Yusuf, while in Police custody in 2009.”… Adoke lamented that the careless use of arms by security agents had led to 7,198 extrajudicial deaths in four years across the nation…» (http://dailypost.com.ng/2012/12/11/adoke-explains-boko-haram-attacks-persist/).

L’impunité dont bénéficient les forces gouvernementales n’est qu’une conséquence du laxisme généralisé qui sévit au niveau des Etats. Ce laxisme s’explique en partie, mais seulement en partie, par les faiblesses structurelles de ces pays, mais il s’explique surtout par le besoin pour les élites locales et leurs partenaires internationaux, de maintenir le règne de l’opacité et de l’informel, nécessaire aux opérations d’enrichissement illicite à travers le système des commissions, pots-de-vin, détournements, marchés de gré à gré, surfacturations, trafics d’influence, etc.Tchad-image-2

Au Mali, le funeste putsch opéré en avril dernier par la junte dirigée par le capitaine Sanogo, s’il n’avait pas eu l’effet inattendu de précipiter l’occupation du Nord du pays par les groupes djihadistes, aurait rallié une bonne partie de la population et surtout la majorité des forces vives urbanisées. Pourquoi ? Parce que pour la masse des Maliens, le régime civil d’Amadou Toumani Touré (dit ATT) était gangréné par la corruption et donc responsable de la recrudescence des désordres dans le Nord. Pourtant le Mali était présenté comme un modèle de transition démocratique, du fait qu’il y avait eu des élections libres et transparentes depuis 1992. En réalité les moyens d’accéder au pouvoir (coups d’Etat, insurrections) avaient changé, mais la finalité du pouvoir n’avait pas changé : s’enrichir au plus vite et par tous les moyens.

En résumé, au-delà des réponses militaires et sécuritaires – qui s’imposent dans l’urgence – la stabilité et la paix nécessaires à l’épanouissement des populations de toute la région subsaharienne ne seront durablement instaurées que par une réorientation des politiques économiques et des rapports avec les partenaires en développement, vers l’amélioration des conditions de vie et de travail des populations, d’une part, et la construction d’un véritable Etat de droit, assurant la protection et l’égalité des citoyens devant la Loi, l’indépendance de la justice et la transparence de la gestion des ressources nationales, d’autre part.          Acheikh IBN-OUMAR (Newletter  de PMCT, N°11 de mars 2013 )

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2 réponses à “MALI-SAHEL : LE PLUS IMPORTANT : LE DÉVELOPPEMENT – L’ETAT DE DROIT

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