Journal L’UNION (Reims): Acheikh IBN-OUMAR – Sentiments d’exil

 

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SOCIÉTÉ

Acheikh Ibn-Oumar
Sentiments d’exil

Chef de guerre, ambassadeur de l’Onu puis réfugié à Reims, Acheikh Ibn-Oumar revient sur son incroyable parcours

(Lien vers le site du journal l’Union –> http://www.lunion.fr/95663/article/2018-06-09/acheikh-ibn-oumarsentiments-d-exil )

Réfugié politique en France depuis 2009, ce Tchadien fut, dans les années 1980, chef de guerre, ministre puis ambassadeur à l’ONU. Avant d’être « du mauvais côté du manche ».

Par L’union | Publié le 09/06/2018 à 14h46 : Source : site du journal l’Union

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Acheikh Ibn-Oumar – Photographe: Remi Wafflart -Journal l’Union (Reims)

Il semble surpris qu’on s’intéresse à lui : « Mon parcours, il est un peu derrière moi, quand même… ». Avant de demander, malicieux, si ce que l’on savait « se résumait à Wikipedia ». Pas tout à fait, en réalité : si la notice d’Acheikh Ibn-Oumar, bien qu’elle ne mentionne pas sa présence à Reims depuis cinq ans, est déjà bien fournie, un document de travail de l’ONU, que nous avions pu consulter, évoquait de manière plus approfondie sa trajectoire. Et expliquait en quoi celle-ci illustrait les soubresauts répétés d’un pays d’Afrique centrale, le Tchad, indépendant depuis 1960 après avoir été colonisé par la France.

Acheikh Ibn-Oumar était alors un enfant de la région du Batha, foyer historique de la rébellion. Sa mère vient d’une famille commerçante. « Je n’ai pas tellement connu mon père biologique, qui était marabout. » Son père adoptif, d’origine nomade, finira par devenir parlementaire. Le jeune Acheikh est en 4e lorsqu’il voit ce dernier embarqué en pleine nuit par la police politique. « Mais c’est assez banal, n’importe quel Africain pourrait vous raconter des traumatismes d’enfance comme ça », assure-t-il.

«le choix de la lutte armée n’était pas bon mais il n’y a pas de regrets»

Après avoir effectué son lycée à Fort-Lamy, capitale rebaptisée N’Djaména en 1973, il part étudier en France pendant cinq ans. Le voilà plongé dans un pays encore en pleine effervescence post-68 : « Sur le campus, c’était la bagarre, encore pire qu’entre l’OM et le PSG. » Impliqué dans le mouvement étudiant africain, il découvre la culture occidentale. « Le premier choc, pour moi, fut la nourriture. J’ai eu du mal. Quand vous venez de chez nous, excusez-moi, mais la cuisine française est d’un fade ! Bon, depuis, j’ai été civilisé…, rit-il. Mais le vrai décalage était social : au Tchad, la vie est très communautaire, on aborde les gens très facilement ; ici, c’est très individualiste. Et puis pour moi, voir des adolescents s’embrasser dans la rue, c’était assez… «hard». Au Tchad, personne ne tient la main de sa femme dans la rue. » En 1975, diplômé de mathématiques, Acheikh Ibn-Oumar retrouve son pays en proie à la guerre civile et où il est déjà fiché par les autorités pour son militantisme étudiant. « On est revenu par le maquis pour rentrer. »

Vite, il se retrouve impliqué dans le mouvement de guérilla. À 28 ans, il occupe son premier poste dans le cadre d’un gouvernement de transition. L’histoire, ensuite, va bégayer. « J’ai été ensuite ministre, puis de nouveau le maquis, puis encore ministre, puis encore dans la guérilla, puis ministre, puis ambassadeur du Tchad aux États-Unis et à l’ONU. » Un CV qui mérite amplement son sous-titrage : « La vie politique a toujours été très militarisée. Tout le monde, là-bas, a déjà pris les armes, ou rêvé de les prendre. Ce n’est pas vécu comme un drame extraordinaire. Si la situation est aujourd’hui plus stable que dans les années 1980, vous pouvez croiser dans certaines zones reculées des hommes en uniforme et ne pas savoir si ce sont des militaires de l’armée régulière, des douaniers, des déserteurs, des rebelles ou des milices du gouvernement. »

« Le maquis est plutôt une bonne école. Ça se joue à l’instinct, aux intérêts, à savoir quand il faut s’affronter ou privilégier un compromis »

De ses années de maquis où il dirigea jusqu’à 2 000 hommes, celui qui figurait dans le camp des « progressistes » – en opposition aux « modérés » – se souvient : « Le chef de mon groupe est mort[i], je me suis retrouvé à la tête d’un mouvement armé structuré sans y être préparé. On était à la frontière avec la Libye, qui était notre base arrière. »

Un renversement d’alliances le conduira à être otage dans le désert pendant un an. Au cours d’une bataille urbaine, bien différente de « quand on jouait à cache-cache dans la montagne », il sera blessé par balle au mollet. « Bien sûr, j’ai souvent craint pour ma vie mais encore une fois, dédramatise-il, vous trouverez difficilement un Tchadien de ma génération qui n’a pas connu la prison, qui n’a pas été blessé. C’était la guerre. » De ces allers-retours entre guérilla et politique, il estime « malgré tout » que « le maquis est plutôt une bonne école. Ça se joue à l’instinct, aux intérêts, à savoir quand il vaut mieux s’affronter ou privilégier un compromis… Les politiciens ont les mêmes réflexes que les chefs de bande armée, vous savez (sourire) ! Après, il y a l’aspect destruction, bien sûr… Le nom de l’ethnie au pouvoir changeait, mais pas les méthodes. Pour cela, le choix de la lutte armée n’était pas le bon. Mais il n’y a pas de regrets. »

Selon notre interlocuteur, cette période s’explique notamment par des raisons sociohistoriques : « A l’indépendance, le pays devait compter quatre universitaires et deux médecins. Des colonels, même des sous-préfets, étaient analphabètes. Il n’y avait pas de société civile. Le pays aurait dû se concentrer sur l’éducation, aucun cadre n’était formé pour animer une démocratie multipartite et on s’est lancé précipité dans les idéologies… » La guerre froide fait aussi de la guerre civile tchadienne un conflit sous influence des grandes puissances, lesquelles l’alimentent en armes.

En 1990, Idriss Déby, arrivait au pouvoir avec l’aide des Français. Il dirige le Tchad depuis 28 ans. Acheikh Ibn-Oumar, qui se retrouva « du mauvais côté du manche et avec la police politique aux trousses », dut s’exiler. C’était au siècle dernier. En France, il obtint en 2009 le statut de réfugié politique. « Mon pays, j’y pense tous les jours, j’espère encore y rentrer, confie-t-il. Mais pour cela, encore faut-il un minimum de garanties sur sa propre sécurité. Déjà, il faudrait faire allégeance au pouvoir en place… Et après, on peut vous faire comprendre que vos proches pourraient avoir des ennuis si vous sortez de la ligne. La situation est plus stable, mais c’est toujours le rapport de forces qui compte. »

Mathieu Livoreil 

[i] Il s’agit de ACYL Ahmat Aghbach, fondateur du CDR (Conseil Démocratique Révolutionnaire), tendance du FROLINAT (Front de Libération Nationale du Tchad), mort dans un accident d’avion, en juillet 1982

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